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Les Gueules cassées, empreinte de la Première guerre mondiale

Les Gueules cassées, empreinte de la Première guerre mondiale

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11 Novembre 2018 : centenaire de la fin de la grande guerre, dans une ambiance très polémique. Cette guerre fut une véritable hécatombe,  une véritable boucherie. On dénombre plus de 9 millions de morts, dont plus de 1,7 millions de morts français et 4 millions de blessés. A cause des mitrailleuses, de mortiers, artillerie lourde, lance flamme, une guerre avec un front statique, des tranchées, 15 % des blessures furent localisées à la tête. 15 000 d’entre eux  porteront les stigmates sur leur visage : on les appela les gueules cassées. Le défi des chirurgiens fut « the right to look humans », le droit d’avoir une apparence humaine.

 « Sourire quand même » : La devise des gueules cassées

Ces soldats ont été victimes de fracture de mâchoire, perte d’un œil voire des deux, du nez. Sans compter que les terres des tranchées  étaient porteuses de germes qui provoquaient la gangrène et le tétanos. Ces blessés au visage déstructuré n’eurent pas droit à la pension d’invalidité. Défigurés, déshumanisés, parfois rejetés par les leurs, ayant passé des mois dans des hôpitaux à subir des soins et opérations douloureuses, ils se considèrent comme des parias. Imaginez que ces jeunes hommes enrôlés dans une guerre atroce, ont laissé une jeune amoureuse ou une femme à qui ils ont promis de revenir vite. Et ils reviennent, oui mais.. un trou à la place d’une partie de leur visage ! Imagine-t-on la réaction des ces fiancées, amies, épouses ?

« Et elle est venue, la bonne, la douce petite femme. Mais devant ce front sillonné de cicatrices, devant cette absence de nez, devant cette face ravagée, elle s’effondre. Lui, de ses mains maladroites, la cherche. Et les yeux suppliants se tournent vers elle, et les lèvres gonflées se tendent : – Embrasse-moi, embrasse-moi ! Mais elle, affolée, se dégage et se sauve : – Je ne peux pas… je ne peux pas ! » extrait de Hommes sans visage d’Henriette Rémi (La Chaux-de-Fonds 1885 – Genève 1978) qui raconte le travail qu’elle a effectué, jeune femme, dans un dispensaire pour grands blessés de guerre.

D’autant qu’après les avoir plaint, ils devinrent le symbole de ce que tout le monde cherchait à oublier.

Le 21 juin 1921, à l’initiative de deux « grands mutilés», Bienaimé Jourdain et Albert Jugon, une quarantaine de soldats blessés au visage créent « Union des blessés de la face et de la Tête ». Ils en confient la présidence au Colonel Yves Picot.  Ce serait lui qui aurait introduit ce dénominatif de « Gueules cassées »  alors qu’on lui refusait l’entrée à un séminaire donné à la Sorbonne sur les mutilés de guerre . L’Union des Blessés de la Face et de la Tête s’enorgueillit de n’avoir jamais demandé de subventions aux pouvoirs publics : leurs ressources sont issues de tombola, loterie, loto en 1974.(1)

Reconstruction des gueules cassées 

Le temps d ‘acheminement pour ramener les blessés complique d’autant plus la gravité des plaies. Les « ambulances chirurgicales automobiles n°2 » plus communément appelés « auto-chirurgicale » ACA furent mise en place, en novembre 1914. Elles permettaient le traitement des grands blessés dans d’assez bonnes conditions. Nous devons cette salle d’opération mobile à l’ingénieur Paul Bouland.

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Operating ambulance, France. Photograph shows an ambulance in France during World War I – George Grantham Bain Collection

Les Britanniques eurent l’idée d’un « hôpital mobile », à l’abri du front. « Des équipes chirurgicales se relayaient dans des salles d’opération où l’on pouvait traiter en même temps quatre blessés ».

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Hôpital militaire français pendant la Première Guerre mondiale

Bien sûr, il y a des hôpitaux à l’arrière. Les chirurgiens tentent de reconstruire ces visages avec les moyens du bord et de l’époque qui sont rudimentaires. Les fonds de L’union vont beaucoup aider à ces soins, après la guerre. Voici quelques uns des procédés chirurgicaux utilisés pour redonner à ces vétérans, leur visage et avec lui, leur dignité.

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Les chirurgiens utilisaient le procédé du sac décrit par le médecin Pitsch, lors du Congrès dentaire-interalliés en 1916. Il s’agissait très rudimentairement de suspendre un lest allant de 250 grammes à 3 kilogrammes de graviers, cailloux. Le traitement durait deux à trois semaines afin de replacer la bouche. Il va sans dire, que c’était extrêmement douloureux.

L’ouvre-bouche

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Il en existe différents modèles. L’appareil est placé dans la bouche du blessé. Il est maintenu de manière à étirer les muscles des mâchoires et à l’aider à recouvrer l’élasticité musculaire

Le casque de Darcissac

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Mutilation de la face, chute en masse du maxillaire supérieur
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Gouttière en place montrant la réduction et la contention du maxillaire inférieur vue de face

Voila un appareillage qui rime avec torture. Cependant il était assez efficace, toute proportion gardée. Son objectif était de consolider les fractures et devait être porté pendant trois semaines. Les blessés salivaient beaucoup du fait de l’ouverture permanente de leur bouche. De plus, le casque tournait autour de la tête du blessé provoquant de vives douleurs.

Les greffes

Les chirurgiens avaient recours à différents types de greffes.

  • Les greffes ostéopériostiques  : Il s’agissait de prélever un greffon sur la face interne du tibia du blessé et de le poser sur la région réceptrice ).  Le docteur Henry Delagenière ( 1858 -1930)  a étendu son utilisation pour les Gueules cassées, dans son centre de chirurgie maxillo-faciale du Mans.

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  •  La Greffe Dufourmentel : Léon Dufourmentel, médecin, auteur de ce procédé permettant de combler les trous de chair : il prélevait des lambeaux de cuir chevelu et les greffait essentiellement au niveau du menton, évitant ainsi les rejets.
Ce n’est qu’au cours de l’année 1918 que le chirurgien Léon Dufourmentel appliqua aux blessés, dont les vastes mutilations étaient jusque là restées sans réponse, cette technique opératoire novatrice.
  •  La greffe italienne : procédé archaïque consistant à découper un lambeau de peau du bras à apposer sur la plaie.  Le bras sanglant était maintenu à l’aide d’une structure métallique afin de vasculariser la plaie pour qu’elle se referme.gueule-cassée-greffe-italienne

Les prothèses

Lorsque les limites de la reconstruction sont dépassées, il reste les prothèses. Limitées à cette époque. Prothèses de nez, d’oreilles, yeux..

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 Suzanne Noël, la première femme chirurgien répare les gueules cassées 

Suzanne Noël, l’une des 1ères Femme chirurgiens en France. La 1ère à réparer les visages. Elle a appris son métier auprès du Docteur Morestin, un as de la Chirurgie Maxillo-faciale. Morestin invente la chirurgie réparatrice, et sera surnommé le père des gueules cassées. En 1916, elle se forme aux techniques de la chirurgie réparatrice et correctrice.  Et à partir de là, dans des conditions extrêmement précaires, elle participe à l’effort de guerre en opérant les « gueules cassées». Elle est très douée à reconstruire les visages, à ajouter un os ici, un lambeau de peau ici.. C’est autre chose qu’un faux-nez sous lequel on fera pousser une fausse moustache..

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Suzanne Noël, qui a opéré tant de « gueules cassées » durant la Grande Guerre, a réalisé l’un des premiers liftings au monde sur l’illustre comédienne Sarah Bernhardt. Mais ceci ce sera une autre histoire… que je vous conterai !

 Anne Coleman Ladd et Jane Poupelet, sculptrices réparent les gueules cassées 

L’une est américaine, l’autre, française. Grâce à elles, certains soldats défigurés ont retrouvés un visage, même si, quelques années plus tard, les masques et la peinture émaillée qui les recouvrait craquelaient jusqu’à ne plus servir.. Indéniablement, ils ont participé à la réinsertion sociale des gueules cassées.

Anne est mariée à un médecin qui fut envoyé en France pour soigner les blessés de guerre. Immédiatement, elle pensa que son talent pouvait améliorer la situation des gueules cassées. Elle ouvre un atelier de fabrication de masques, le « Studio for Portrait Mask » sous l’égide la Croix-Rouge américaine, à Paris pour eux. Elle réalise un moule du visage mutilé en plâtre. Puis, elle comblait les parties manquantes.

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Ladd et un soldat portant le masque de Madame Ladd. (Library of Congress)

Elle galvanisait le tout dans du cuivre. Le travail pouvait durer des semaines. Elle peignait ce masque pour l’adapter à la carnation du sujet. Elle réalisa 185 masques.  Jane Poupelet, sculptrice française la rejoint et continuera le travail après le départ de Anne Coleman Ladd jusqu’en 1920.

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Jane Poupelet dans le Studio for Portrait Mask à Paris (Library of Congress)

A mon grand désespoir, ces femmes extraordinaires ne sont pas du tout honorées. Point d’hôpital ou clinique Suzanne Noël, ni de lycée Jane Poupelet, ni de rue Anna Coleman Ladd… Ah si ! il existe un timbre à l’effigie de Suzanne Noël !

Aujourd’hui, aussi, la chirurgie réparatrice sauve des vies et fait de vrais miracles. Gustave Ginestet, Blair, Davis, Noël, Passot, Pont, Bourguet, Morestin, Dufourmentel (2) … tous ces chirurgiens des gueules cassées ont laissé un énorme travail qui reste la pierre angulaire de la chirurgie reconstructrice d’aujourd’hui. C’est grâce aux progrès de la chirurgie de guerre, qu’elle acquit véritablement ses lettres de noblesse.

En UNE :Gueules cassées, Soldats gravement blessés au visage, Première Guerre mondiale par un Photographe français – non daté  · 9,81 mégapixels · Image n °: 340170 · Collection privée / bridgemanimages.com

(1) pour tout savoir, rdv sur leur site   (2) Pour en savoir plus, sur ces grands chirurgiens ici

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Apprentie-sage, à la fois frivole et mystique, lègère et spirituelle , gourmande et orthorexique, férue de nutrition, en recherche de sagesse

2 Comments

  1. Bonjour,
    je suis une élève de l’université d’Angers, et dans le cadre d’un cours de sécurité informatique, nous devons réaliser une soutenance à l’aide d’un diaporama. Je voulais donc vous demander si il était possible que j’utilise le première photo des gueules cassées présente sur votre page.
    dans l’attente d’une réponse.
    Coline PINEL

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